Les prix Lizzie Magie (en référence à l’historique autrice du Monopoly) récompensent l’engagement social, politique ou environnemental mis en œuvre lors de la création, la fabrication ou la diffusion de jeux de société. Ils récompensent également la volonté de porter le jeu de société au-delà de la simple recherche de l’efficacité du divertissement ou de l’innovation mécanique. En somme, les prix Lizzie Magie souhaitent mettre en avant ce que les jeux de société apportent à la société en tant qu’objet culturel.
« Objet culturel » est ici entendu comme une œuvre de l’esprit [matérielle (un livre) ou immatérielle (une chanson)] issue d’une démarche de création originale impactant le groupe social qui le reçoit, et répondant à une ou plusieurs fonctions identifiées par ce groupe. Pour le jeu de société, la démarche qui aboutit à l’objet jeu implique les processus de créations mécaniques et thématiques exprimés par l’auteur, mais aussi les processus éditoriaux : la définition de sa forme, de son fond et de sa fabrication. L’impact des jeux de société sur le public comprend par exemple les apprentissages sociaux, le développement de compétences individuelles, et l’évolution des représentations. L’une des fonctions traditionnellement identifiées du jeu de société est le divertissement.
Le jury des prix Lizzie Magie est composé d’acteurs très divers du milieu ludique :
L’année dernière, les prix Lizzie Magie avaient été décernés à un auteur, un éditeur et un jeu.
❖ Le jury souhaite remettre cette année un prix Lizzie Magie au jeu Alice is missing de Spencer Starke, édité par Renegade Games et localisé en version française par Origames.
Alice is missing propose de vivre une aventure au contexte particulier : Alice, jeune fille de 17 ans vivant dans une petite ville de province américaine, a disparu depuis trois jours. Ses camarades, incarnés par les joueurs et joueuses, vont essayer de la retrouver. Le jeu propose une expérience ludique différente, puisque cette quête va se dérouler uniquement par messages interposés. Muni de son smartphone, chaque participant va échanger avec les autres en jouant le rôle de son personnage et en faisant évoluer l’histoire. Celle-ci est donc issue d’une narration partagée similaire à celle d’un jeu de rôle, porté par un système très simple plus proche du jeu de société. Ainsi, au travers d’une trame qui se dessinera grâce à quelques tirages de cartes, les participants échangeront sur ce qui a pu arriver à Alice, de manière libre.
Le jeu permet au groupe de vivre une aventure qu’il va lui-même créer. En osant aborder des thématiques souvent délaissées par le jeu de société (disparition, mort, mal de vivre, relations parents/enfants, violences faites aux femmes, …), l’auteur et l’éditeur nous invitent à nous interroger sur le monde contemporain, nos réalités sociales et leur complexité. La narration partagée offre l’opportunité à chacun de questionner nos réactions et nos préjugés lorsque nous nous trouvons confronté à des difficultés humaines et sociales. Enfin, en laissant les joueurs et joueuses libres d’explorer les thématiques souhaitées , mais aussi d’éviter celles qu’ils ne souhaitent pas aborder durant ce moment, le jeu permet à chaque groupe de s’interroger différemment.
Alice is Missing peut être une expérience émotionnelle très forte : en choisissant un thème volontairement « difficile », réaliste et contemporain, l’auteur invite à vivre une expérience ludique qui va au-delà du simple divertissement.
❖ Le jury souhaite remettre cette année un prix Lizzie Magie à l’Association des Ludothèques Françaises (ALF).
L’ALF est un réseau qui fédère, représente et accompagne les ludothèques et autres structures ludiques similaires depuis 1979. Le jury souhaite donc d’abord saluer son action de diffusion du jeu de société de longue date dans les territoires français. Bon nombre d’acteurs et actrices du milieu ludique ont été impactés lors de leur parcours par une ludothèque de quartier : nul doute que leur prosélytisme de terrain a contribué à faire du jeu de société moderne francophone ce qu’il est aujourd’hui.
Par ailleurs, l’ALF défend publiquement le jeu (au sens large, et donc également le jeu de société) comme un véritable objet culturel, que ce soit au travers de ses actions de formation des ludothécaires, ou de ses prises de position publiques (supports de communication, actions auprès des institutions…). En complément, l’association a publié en 2016 son projet politique, qui affirme le rôle des ludothèques en tant que structures d’éducation populaire, qui accompagnent « l’émancipation des personnes en développant un pouvoir d’agir qui permette à chacun de prendre sa place de citoyen-ne, et de s’inscrire dans une démarche de transformation sociale ».
Enfin, dans un contexte environnemental où nous devons questionner nos pratiques de production et de consommation, le réseau de plus de 700 ludothèques référencées (dont 400 adhérentes à l’ALF) permet de mutualiser les jeux Les ludothèques sont des équipements culturels de proximité déterminants pour pouvoir conserver le jeu de société en tant que pratique culturelle largement partagée de manière soutenable.
Elizabeth Magie, dit Lizzie, est autrice de jeu, écrivaine et sténographe américaine. Progressite et féministe au tournant du 20e siècle, elle fait partie du mouvement quaker et apprécie les idées de l’économiste Henry George, qui veut limiter le pouvoir des propriétaires fonciers avec un impôt unique. En 1903, elle dépose un brevet pour un jeu de société, The Landlord’s Game (Le Jeu du propriétaire foncier), avec lequel elle souhaite illustrer la « nature antisociale du monopole ». Il se diffuse sur les campus, dans le milieu des intellectuels de gauche et parmi les Quakers, sur la côte Est des Etats-Unis. En 1933, un homme d’affaires sans le sou, Charles Darrow, s’approprie le jeu et le signe chez les Parker Brothers en son nom – ainsi est né le Monopoly.
Par les Prix Lizzie Magie, le jury tient à rendre hommage à une personnalité forte et pourtant longtemps méconnue de la création culturelle du monde du jeu de société. Lizzie Magie fut une pionnière à utiliser le média du jeu de société pour promouvoir un message social engagé. Spoliée de son brevet, elle consent malgré tout à un accord avec Parker Brothers afin que le message véhiculé par le jeu soit le plus largement diffusé. Dans le contrat signé, Magie obtient de la société qu’elle publie (en mentionnant son nom et portrait en couverture) deux autres de ses jeux : Bargain Day (Jour d’occasion) et King’s Men (Hommes du Roi).
à lire :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Magie
https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Landlord%27s_Game
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Monopoly
https://boardgamegeek.com/boardgame/9176/kings-men
https://boardgamegeek.com/boardgame/13483/bargain-day